Histoire(s)

De l'Histoire, des valeurs, des combats

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Par Stéphane NIVET
1 août · 3 mn à lire
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Cravate blanche et idées noires

31 juillet 1945. L'arrestation de Pierre Laval

Mardi 31 juillet 1945, en fin de journée, un drôle d’avion se présente à l’approche de l’aéroport de Linz-Horsching en Autriche. C’est un Junkers Ju 88, un bombardier bimoteur de l’ancienne Luftwaffe, du modèle de ceux qui ont terrorisé la Belgique et la France au printemps 1940 avant de terrifier les nuits anglaises durant le Blitz. L’appareil a été repeint en noir, pour lui retirer tout signe d’appartenance en ces temps qui succèdent à la capitulation allemande. L’équipage allemand est en tenue civile et ne cache pas sa joie de retourner au pays. L’avion devait se poser à Salzbourg mais la météo en a décidé autrement. Dès le décollage de l’avion depuis l’aéroport de Prat de Lobrega près de Barcelone, les services de renseignement français, britanniques et américains ont donné l’alerte à leurs unités présentes en Bavière et en Autriche. Car le passager qui vient de prendre les airs n’est pas n’importe qui : il s’agit de Pierre Laval, ancien chef du Gouvernement de l’État Français et ancien ministre de tout, visage de la Collaboration avec les Nazis et qui, depuis la faillite hitlérienne et depuis des mois, a trainé sa misère, ses malles d’archives, sa femme et quelques collaborateurs entre Sigmaringen et l’Espagne franquiste, personne, en dehors de la France, ne réclamant d’abriter l’encombrant colis.

Laval, une canne à la main, descend de l’appareil amaigri, flottant dans un costume croisé noir à fines rayures blanches, coiffé de son chapeau de feutre emblématique et revêtu de son irrévocable cravate blanche. Le soleil de Barcelone, où Franco accepta de l’accueillir dans le pavillon des officiers de la forteresse de Montjuic durant trois mois seulement, lui donne un visage très hâlé, presque momifié, qui renforce sa maigreur et son teint naturellement basané, presque bistre, qui lui a valu, durant toute sa jeunesse, de la communale de Chateldon où il fut élève aux lycées lyonnais où il fut pion, les moqueries de ses camarades, le surnommant « le jamaïcain ». Madame Laval, un foulard sur la tête, vêtue d’un manteau tacheté très largement élimé, sourit presque mécaniquement et sans savoir pourquoi aux photographes, comme du temps où elle était quasi première dame de l’État français.  

Au sol, des officiers américains accueillent le colis suspect : le commandant en second du 79ème groupe de chasse, le major Henry E. Wood flanqué du capitaine Jeffrey Lynn, officier de renseignement chargé de faire l’interprète durant l'interrogatoire de Laval. On amène le « maquignon auvergnat » auprès du général Copeland qui lui confie d’emblée que les Américains n’ont pas l’intention de la garder par-devers eux. On lui annonce qu’on l’arrête et qu’un « French général » l’attend. Saisi par un humour qui échappe en de telles circonstances, Laval répond sarcastique qu’il aurait préféré aller à New-York, ravivant les souvenirs de cette époque où les Américains, dans les années trente, lui avaient réservé un accueil triomphal et, premier privilège accordé à un Européen, la Une du Time en tant qu’homme de l’année 1931.

A Paris, la veille dans l’après-midi, dans le hall de la Cour de Justice où le Maréchal Pétain est en train d’être jugé, on a affiché plusieurs arrêts et notamment une ordonnance renvoyant Laval devant ladite juridiction, lui enjoignant de se présenter sous dix jours.

Côté français, le général de brigade Bondis, qui commande depuis son quartier général d’Innsbruck la zone d’occupation française en Autriche étendue sur le Tyrol du Nord et le Vorarlberg, est prévenu de la situation. Il charge le capitaine Yves Perrussel, responsable de la sûreté en Autriche française occupée, de réceptionner et convoyer Laval. C’est un résistant issu du réseau Mounier qui s’est déployé avec ruse en Tunisie, sous couverture d’une prétendue société de pêche. Cet avocat hâbleur de 42 ans sait le prix de la guerre et des trahisons de la France de Laval. Sa femme, arrêtée à Tunis en 1943 par des Français pour l’obliger à se rendre, a été livrée à la Gestapo et a connu la déportation, via Naples et Berlin, jusqu’à Ravensbrück. Yves l’a retrouvée en mai 1945 à Paris et l’a ramenée avec lui, comme une revanche, sur l’ancien territoire du Reich désormais occupé. Dans des cellules séparées, une nuit particulière commence. Yves Perrussel entame son huis clos avec Laval d’un côté. Martha Perrussel, quant à elle, est chargée de veiller sur l’épouse de l’ancien chef du gouvernement. Alors qu’il fait l’inventaire de ses valises avec le capitaine française, Laval passe la nuit à ruminer sa défense, réécrit l’histoire à sauce, plongé dans ses liasses de documents, dont certains remontent à 1940. Déjà, à voix haute, il plaide sa cause, en proie à des idées fixes. Il déploie des trésors d’arguments qui ne convainquent que lui. Il se rassure devant la mort qui commence à rôder. Il exhume comme des talismans des lettres et des compte rendus qui ne persuaderont personne d’autre que lui-même de l’absoudre d’avoir été « le » salaud parmi les salauds, celui qui avait souhaité publiquement la victoire de l’Allemagne, celui qui avait contresigné le premier statut des Juifs avant de courir aux devant des desiderata des nazis pour livrer les enfants juifs sous les applaudissements d’un Brasillach extatique. Il sent déjà les douze balles qui vont le trouer. Il sent déjà l’odeur du fossé dans lequel il viendra terminer. Le 21 octobre 1944, la Cour de Justice de Marseille l’a déjà condamné à mort par contumace pour intelligence avec l’ennemi dans l’affaire du rachat du journal Le Petit Marseillais.

Depuis des mois, Laval a échafaudé toutes les stratégies du monde pour éviter un retour en France. Sa fille Josée l’a prévenu de ne revenir « à aucun prix ». La Suisse d’abord, qu’il imaginait comme une citadelle d’immunité mais qui se ravisa, finalement, pour ne pas devenir le dépotoir des nazis et de leurs collaborateurs. L’Espagne ensuite, certain de l’accueil bienveillant de Franco. A plusieurs reprises, et dès son arrivée à Barcelone, les Espagnols lui ont proposé de partir vers l’Irlande neutre et peu encline aux extraditions. Il a refusé. C’est l’Espagne qu’il voulait par-dessus tout. Pas seulement par affinité franquiste, mais qu’il se sent chez lui. Ses vacances étaient espagnoles, la seule langue étrangère qu’il parla était l’espagnol, une partie de ses études, au lycée de Bayonne, étaient franco-espagnoles. La nuit ne sera pas calme et les agitations de Laval, derviche tourneur plongé dans sa paperasse indigne, donneront matière à récit au capitaine Perrussel.

Il est 13 heures le 1er août 1945 quand on informe Laval qu’un avion va le ramener en France. L’heure des comptes est venue. A l’aéroport d’Innsbruck, un avion américain aux couleurs françaises est préparé. Après avoir fait une escale à Friedrichshaffen sur les bords du lac de Constance où il espéra, un temps, à bord de sa Delahaye blindée, prendre le large vers la Suisse, l’avion se pose à l’aéroport du Bourget à 19h12. A 20h15, alors que la foule commence à s’apercevoir du retour de l’homme le plus haï du pays, le juge d’instruction de la Haute Cour chargé de son affaire, Pierre Béteille, lui signifie sa mise en accusation. Les valises et notamment les papiers, sont saisis. Laval est envoyé à Fresnes. Au moment d’être exécuté, il tentera une dernière dérobade avant le peloton, avalant un cyanure frelaté. Sans doute celui qu’il avait caché dans la doublure de son inséparable pelisse offerte, en d’autres temps, par Staline.

Bibliographie

Meltz (Renaud), Pierre Laval. Un mystère français, Perrin, 2018, 1240 pages

Kupferman (Fred), Pierre Laval, Masson, 1976.

Vergez-Chaignon (Benedicte), Les secrets de Vichy, Perrin, 2019